ARMADAS
La protection corporelle en mode rétroactif
Lorsqu’elle quitte le Pérou pour la France, en 2002, Rustha Luna Pozzi Escot « traverse la frontière » entre émigration et immigration. Un statut qui lui fait découvrir une nouvelle culture et quelques séquelles post-coloniales. Dans ce nouveau territoire, elle constate que les différents groupes d’immigrés sont catégorisés et entrent en conflit avec l’imaginaire exotisant et séducteur du typé ethnique. L’artiste résout ces contradictions par ses oeuvres, fantasmes délirants de guérilleras, de geishas et d’exubérance colorée provenant de l’Afrique et des Andes.
Femmes Armées, série photographique en mode satirique née en 2009, forme un escadron de personnages féminins arborant des identités ancestrales, ou contemporaines, aussi exacerbées qu’accablantes. Cette proposition artistique vise l’un des stigmates de la représentation et du genre : « […] être homme c’est agir, être femme c’est paraître. Les hommes regardent les femmes alors que les femmes s’observent en train d’être regardées. » Cette phrase du critique John Berger confère plusieurs contre-emplois aux artistes femmes dans l’histoire de l’art : ségréguées comme créatrices, reléguées en tant qu’objets décoratifs produits par et pour le genre masculin, déployées en étendard comme pièces d’échange dans les stratégies de pouvoir. C’est ce dernier point qui a été exploré et développé dans Armadas.
En 2018, Rustha Luna Pozzi-Escot revient au Pérou. Un retour qui coïncide avec le tsunami mondial de revendications féminines et féministes, qui se positionnent sur un nouvel échiquier. De cette idée est née la série produite en 3D, qui alerte sur la violence inscrite dans la chosification massive du corps féminin : ce « champ de bataille » dénoncé il y a plusieurs décennies par l’artiste Barbara Kruger comme lieu de domination politico-militaire.
Pour Rustha Luna, l’escalade croissante des tensions sur le genre et le pouvoir ne pourra être résolue qu’en remontant aux temps les plus anciens. La Vénus Paléolithique (2019) illustre cette prise de positions : l’artiste utilise le système de hiérarchie intrinsèque au textile et à l’habillement dans toute civilisation pour se réapproprier la déité féminine originelle, non plus représentée par une atavique amulette d’argile, mais comme une hyperbole de l’origine de l’espèce humaine écrite dans la pierre.
-Vera Lauer